Une série d’entretiens proposant différents points de vue sur la question, avec l’idée d’en parler simplement.
Premier entretien avec Isabelle Lompret, philosophe et psychanalyste
Isabelle, qu’est-ce que la mort pour la philosophe et la psychanalyste ?
Je fais la différence entre la mort de l’autre qui peut-être une réalité vécue et ma propre mort qui reste de toute façon un concept.
Comme le dit Épicure, « la mort n’est rien pour nous : « tant que nous sommes, la mort n’est pas là ; et quand la mort est là, nous ne sommes plus ».
La philosophie n’étudie pas la mort comme concept en tant que tel mais la rattache toujours à la vie.
Le thème de la mort a d’ailleurs été retiré des programmes de philo au lycée autour des années 75. On l’aborde depuis, avec les notions de temps et d’existence (avoir conscience de vivre).
On distingue 2 approches classiques chez les grecs :
- Les matérialistes ou atomistes.
Pour Démocrite, nous sommes un agrégat d’atomes qui se désagrègent à notre mort. Ce qui est valable aussi pour l’âme (la notion de conscience naît avec Descartes au 17ème siècle, il sépare alors le corps de l’esprit).
La mort est un état, les atomes se désagrègent et rejoignent le tout, le néant.
(NDLR C’est déjà l’idée de Lavoisier que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».)
- Les spiritualistes ou idéalistes.
Pour Platon, premier philosophe spiritualiste et idéaliste, notre monde se rapporte à un autre monde qui est celui des idées. Notre âme descend momentanément dans un corps puis remonte dans le monde des idées, cela de façon cyclique. Pour revenir ici-bas, elle passe par le fleuve Léthé qui lui permet d’oublier. C’est ce que l’on appelle la métempsycose.
La religion monothéiste bouleverse ces croyances en inventant, ce que Nietzsche appelle les arrière-mondes. À la mort, l’âme va dans un autre monde.
Pour Spinoza, Dieu qu’il nomme aussi la nature est l’ensemble de tout ce qui est. Nous sommes la matière et l’esprit qui sont en parallèle (contrairement à Descartes qui les sépare), telle « une excroissance divine ».
Pour moi la mort a très vite été une réalité matérielle brutale avec le décès prématuré et inattendu de mon père lorsque j’avais 9 ans. Je n’ai pas vu son corps, ni assisté aux funérailles. De fait, cette réalité percutante je l’ai fantasmée. C’est ce dont j’ai pu me rendre compte en faisant ma propre analyse.
Ce vécu c’est celui de l’absence et d’une tombe que je visitais accompagnée de ma grand-mère. Une forme de banalisation qui certes protège, comme un mécanisme de défense qui met à distance, mais qui ne m’a pas permis à l’époque de vivre la tristesse et qui m’est revenue en boomerang.
Après la phase de déni, se laisser aspirer ou renaître dans cette bascule. Je peux le dire maintenant, cela m’a permis de me construire telle que je suis aujourd’hui.
La religion est une illusion, la philosophie n’est pas une consolation, il faut composer avec ce que l’on est, d’autant que comme le dit Freud, l’inconscient ne croit pas à la mort.
C’est avant de devenir moi-même maman, par sens des responsabilités, que j’ai pour la première fois poussé la porte d’un psychanalyste.
Comment conceptualises-tu ta propre mort ?
Je reste dans le mystère. Épicure dit, « tu ne vivras pas ta propre mort ». La vie est sensation et la mort absence de sensation. C’est en ce sens que la mort n’est rien pour moi. D’ailleurs dire que philosopher c’est apprendre à mourir, c’est comprendre ça.
Pour Spinoza : « Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie ».
Si je m’inquiète de ma propre mort, c’est pour les miens, parce que je sais à quel point la mort de l’autre peut être difficile. Heidegger dit « dès qu’un homme naît, il est assez vieux pour mourir ». La mort est. J’ai cette idée de la précarité de la vie et de la finitude, je sais de par mon vécu, qu’à tout moment je peux ne plus être là. Cela me rend très attentive à la vie des autres et à la mienne.
La question de la mort est toujours la vie, y compris la façon dont on va mourir. Je pense là à l’euthanasie. Une question sur laquelle nous sommes appelés à réfléchir de façon éthique. Comment concevoir collectivement une chose tellement personnelle et intime ?
Accompagner nos morts et le chagrin de l’endeuillé nous fait humains.
Aujourd’hui la mort est reléguée à l’hôpital. Le chagrin et la souffrance sont médicalisés.
Sur la conception de la mort, le symbolisme et l’art nous permettent d’apprivoiser l’idée de la mort, La mort de l’autre qui est celle que l’on vit et sa propre mort, comme un concept.
La vie n’est pas une énigme à résoudre mais une expérience à mener.
Et si la science répond à la question comment. La philo répond au pourquoi ? Sans amener de réponse définitive contrairement à la religion.
Et l’après-mort, pour le mort ?
Tout n’est pas rationnel. Comme j’ai pu le dire à ma petite fille, si tu ne crois pas aux fées elles vont mourir alors continue à regarder les étoiles.